12 mars 2018
*
Ne craque pas, tu vas trouver*
… ou pas ! Saara n’en peut plus d’arpenter dans un sens puis dans l’autre la même avenue depuis un bon quart d’heure. Elle va être en retard et ça l’ennuie énormément ; ça ne se fait pas quand on est invitée chez quelqu’un. Comme les indications lui avaient été données comme si rien de plus facile à trouver, elle n’a pas du tout anticipé qu’elle peinerait autant à localiser l’immeuble. Et maintenant, elle sera en retard. Sans avoir prévenu en plus. Pourtant, pas faute d’avoir voulu appeler sa partenaire de tandem linguistique, une Française récemment installée à Valhöll. Sauf qu’elle a dû comprendre mal un chiffre, parce que le numéro qu’elle a enregistré dans son téléphone n’est pas valable. Quel manque de précaution de n’avoir pas fait un appel manqué au moment où elles se sont échangé leur numéro, juste histoire de vérifier. Maintenant elle erre sans moyen de joindre son binôme au prénom charmant d’une constellation. Ou presque, elle a le mail de Cassiopeia. C’était par ce biais qu’elles avaient communiqué pour organiser leur première rencontre. Sauf que, visiblement, la brune ne semble pas avoir vu passer son mail qui demandait de la rappeler pour la guider à bon port. Ou cette dernière ne l’a pas compris, Saara a pourtant écrit un message très simple «
call me please, I am lost ! ». De toute façon, un mail envoyé quand on est déjà à la traîne et avec pour excuse brandie de n’avoir pas le bon numéro, ça aura l’air bidon, non ? Il faut connaître Saara pour ne pas douter de sa bonne foi.
La jeune femme marque une pause pour faire le point. Déjà, est-elle dans le bon coin ? Elle regarde aux alentours, il y a les repères qu’on lui a donnés. L’immeuble qu’elle cherche est proche, peut-être même sous son nez. C’est forcé… ou du moins, l’espère-t-elle fortement. Dans son zèle, elle a apporté des vaflers à accompagner d’une glace vanille, d’une confiture de baies polaires ou de brunøst. Le tout fait maison par ses soins la veille. Elle aurait pu gagner du temps en se rendant dans une pâtisserie, mais elle adore sortir ses ustensiles et virevolter derrière les fourneaux. Cuisiner lui donne du plaisir davantage que ne demande d’effort. Sauf que si elle continue à traîner, sac isotherme ou pas, le temps n’épargnera pas une fin en milk shake à sa glace, hélas ! Là tout de suite, elle a envie de s’accroupir et de se mettre en boule. C’est trop la déprime, elle se faisait une joie de partager un goûter avec sa nouvelle connaissance. Ce n’est pas grand-chose, mais des gourmandises sont des arguments irrésistibles pour convaincre du bon vivre en Norvège. Ce n’est pas tout clair la raison de l’installation dans le grand froid de Cassiopeia, mais dans les mots en français que la blonde a cru comprendre, ceux-ci racontent une situation familiale compliquée avec un Norvégien. Le plus triste dans l’histoire, c’est qu’il y a un enfant qu’on ballotte.
Bon ! Saara repart. À force de taper le code transmis à toutes les entrées d’immeuble, elle finira bien par déverrouiller une porte… oui elle est optimiste ! Il faut bien, parce que si elle cède à l’implacable logique, elle peut tout aussi bien rentrer chez elle.
« Aaaargnn toujours raté.. », grommelle-t-elle dans un ton plaintif.
Est-ce qu’elle aurait aussi noté un code incorrect ? Elle a un doute maintenant. Parce que si elle prend en compte les informations, ça doit être cet immeuble. C’est d’ailleurs, le premier qu’elle a essayé, mais comme le code n’avait pas marché, elle avait continué plus loin sans trop insister. Mais là, elle était revenue tenter à nouveau des fois qu’elle avait mal appuyé sur les boutons. C’est souvent comme ça, on tourne en rond, alors qu’on avait bon depuis le début… mais pas cette fois ! Par acquit de conscience, elle commence à parcourir les noms sur les plaquettes, mais elle n’y croit pas du tout. En toute logique, la probabilité est grande que Cassiopeia Fontaine n’apparaisse pas sur les plaquettes, puisque celle-ci loge chez quelqu’un depuis peu... La prochaine fois, on revient aux rencontres dans un café ! C’est un peu moins convivial – et encore, Saara en connaît de très sympa –, en tout cas ces établissements sont localisables même sans une adresse précise !
Convaincue de perdre son temps, elle abandonne la lecture des plaquettes à mi-parcours et rebrousse chemin pour regagner la rue. Après avoir croisé une ado, elle entend dans son dos le déclic de la porte.
« Bonjour, excuse-moi ! », arrête-t-elle cette apparition salutaire avant qu’elle ne passe la porte.
L’adolescente s’arrête avec un pied dans le hall de l’immeuble et la regarde l'air neutre, attendant sans doute de savoir ce qu’on lui veut.
« Je viens voir quelqu’un par ici, mais je ne suis pas sure de l’adresse. Je n’arrive pas à la joindre. Est-ce qu’à tout hasard, tu saurais s’il y a une Française qui vient d’emménager. Elle a un enfant. Une brune dans la trentaine et… »Et c’est à peu près tout ce qu’elle sait, elle ne l’a rencontrée qu’une seule fois. Mais sa description se révèle suffisante puisque la jeune fille hoche la tête. Saara sourit, enfin la chance lui sourit ! Comme elle présente bien, elle donne facilement confiance aux gens, qui, il est vrai, courent peu de risque de le regretter. La fille la laisse donc entrer et l’accompagne même au bon étage. Sans sortir de l’ascenseur, l’ado lui dit qu’elle ne sait pas pour la porte de l’appartement. Ce n’est pas grave ! Elle sonnera à toutes et on verra bien, déjà elle n’a pas besoin de le faire à tous les étages. En plus, il y a en fait peu de portes sur l’étage pourtant vaste. Le compagnon récalcitrant de Cassiopeia est à l’aise apparemment.
À peine le temps de poser un pied dans le couloir qu’une porte s’ouvre et que – ô hasard heureux – Cassiopeia surgit ! Un peu prise de court, Saara est une seconde muette.
« … Bonjour ! », s’exclame-t-elle sitôt ses esprits retrouvés.
« Je suis désolée, j’ai eu du mal à trouver. Je ne sais pas ce que j’ai trafiqué, je n’avais pas le bon code et je suis partie plus loin. Je vous ai écrit un mail, comme je n’ai pas non plus enregistré correctement votre numéro... »Comme elle a parlé en norvégien et vite, elle reprend plus calmement en anglais. Elle ponctue sur un «
je suis vraiment vraiment désolée, Cassiopeia » dans une prononciation française maladroite à cause de sa confusion.
« Vous alliez partir.. on annule alors… ? »En même temps, elle doit bien l’avoir faite poireauter une demi-heure… c’est juste inadmissible !