Thegifs-Queen

Depuis l'enfance, je n'avais fait que fuir. Fuir cette vie qui n'en était pas une, après les coups de mon père, alcoolique, me mettant à terre à chaque fois que le sort de la vie semblait lui être défavorable. Mon premier amour, qui, pour gagner son pain, me donner satisfaction quant à toutes ses belles promesses d'avenir radieux à deux, donnait ma féminité aux plus offrants. J'avais été salie, prise comme une bête, d'humiliation en humiliation...

Et là, à l'aube de mes dix huit ans, je fuyais encore, je fuyais comme si ma vie en dépendait. Et pour tout dire, elle en dépendait vraiment. Enfoncée dans une forêt, les enchevêtrements disgracieux des branches me griffant les mains et le visage. S'accrochant à mes vêtements qui, bientôt, partiraient en lambeaux, je courais, la gorge sèche, le souffle court, tandis que la créature se délectait de ma fragilité. Je me sentais comme cette souris que l'on donne en pâture à un serpent. "Cours. Cours encore et toujours, l'odeur de la peur laisse une trainée délicate à ton passage. Marquant les feuilles des arbres, le sol qu'ont foulés tes pas." Et moi je gémissais, les yeux brouillés par des larmes de tétanie, de la morve coulant sur mes lèvres, à défaut de pouvoir renifler. Je crèverais dans la boue, dévorée par une créature que je pensais être réelle uniquement dans les mythes. J'aurai passé ma vie à fuir. Et je crèverai, là, comme une malpropre, dans l'obscurité d'une forêt sinueuse et sinistre. Je ne vis pas la racine qui jonchait le sol de manière si innocente. Je m'écrasais sur le sol boueux, sentant la terre meuble épouser mes formes, et se déposer sur mon enveloppe charnelle fébrile. Et la créature, aux allures pourtant si humaines, se dressa au dessus de moi, impressionnant. Il écoutait, il entendait ce que je ne pouvais entendre. Les pulsations folles de mon coeur.

La peur de m'éteindre.

Ses yeux me scrutaient d'un regard luisant. Méprisant cette créature, dont le sang, serait son dîner. Serait-ce comme dans les films ? Propre ? Net ? Sans douleur réelle ? M'administrera t-il une substance anesthésiante en une première morsure, se répandant lentement dans mon corps comme un poison ? Ou alors, serait-ce douloureux ? Douloureux comme si une personne entrait en moi par les voies nasales afin de venir piquer mon coeur d'aiguilles, et lacérer mon estomac de débris de verres. Ou bien, ce sera encore pire. Qui sait... Mais en observant la créature de l'ombre qui se penchait au dessus de moi de toute sa hauteur, je ne pus m'empêcher de me dire. Je vais mourir. Après toute cette vie de malheur je vais mourir...

Tant pis... Tant mieux ?

Une bête, sublime, un poil noir de jais, domina la créature de sa splendeur, sa puissance animale. Se dressant devant elle, les poils hérissés, les crocs acérés. Larmes perlant sur mes joues de porcelaine, j'observais la danse brutale des protagonistes de l'histoire. Tant de violence, tout ce sang, tout ces bruits... semblant venir d'un autre monde. Le corps d'une créature tombant en poussière, qui elle, s'évanouissait dans le vent d'une nuit fraîche. Et soudain la tétanie, de nouveau, vers la bête qui, babine retroussées, m'approchait. Plantant ses crocs dans ma jambe. Une douleur si intense, un coeur qui bat fort. Trop fort. Du sang, toujours plus, comme s'il y en a jamais assez. Et le noir... le noir total, tandis qu'en moi, j'entends faiblir ma respiration...

Boboom... Boboom... BOBOOM...

Un coeur qui reprend vie, sans n'avoir pourtant péri. Il bat, plus fort, plus vite, il est chaud, ardent même, sous cette cage thoracique qui se soulève frénétiquement. Ma vision s'ouvre sur ce nouveau théâtre, ce nouveau décor que je ne connais pas. Cet homme plongé au dessus de moi, et son regard, profond, que je reconnais instantanément. C'est la bête. Et l'homme m'explique, qui il est, qui je suis désormais, où nous sommes, ce que je serai, ce que je ferai... Et alors qu'il parlait, un sourire se peint sur mon visage. Marquant mon entrée dans la famille, au domaine, à la meute.

Très vite, je me suis habituée à cette nouvelle existence. Cette nuit qui devait marquer la fin de ma vie fut un second souffle. Un nouvel espoir. J'ai appris vite, très vite, les règles de ce monde surnaturel, les lois de la meute, la vie en communauté. Je devins populaire auprès des loups. Mis à part Jayden, qui ne portait aucune quelconque attention à mon égard. Et je ne sais si c'était par orgueil ou parce qu'il était celui que je voulais réellement, mais je ne pus l'accepter. Il m'obsédait, au sens littéral du terme. Ainsi, j'acceptais la mission de mon Alpha, qui consistait à séduire le frère cadet de Jayden, Ezeÿel. Probablement pour le tester, le provoquer, qu'il me montre une once d'intérêt. Mais rien ne se produisit ainsi. Rien ne nous rapprocha, rien n'évolua, ni en bien, ni en mal. 

Nous avions commencés par des échanges de regards lourds de sens. Le genre de regard qui veut à la fois tout et rien dire, mais qui est là, qui a ce petit plus, qui montre cette tension qu'on ne peut exprimer par des mots. Ces sourires, qui s'esquissent, tout en restant discrets, lorsque les regards se font trop intrusifs, trop longs, que l'autre comprend, les intentions, les sentiments qui se cachent derrière tout cet échange silencieux. Vient alors l'approche physique, subtile, un effleurage "anodin", qui parait innocent, alors que même l'intensité du touché, est calculé, d'où je pars, où je vais. A quelle vitesse... avec quelle force. Juste ce qu'il faut là où il faut, afin de sentir ce frisson qui parcourt sa peau. Les échanges verbaux, tout d'abord superficiels, se font de plus en plus fréquents, devant le regard lointain mais pas moins insistants du chef de meute, ravi que son pan marche comme prévus. Puis les entrevues, souvent nocturnes, propices au rapprochement. Le premier baiser, incertain, hésitant, marquant le début d'une histoire factice, qui semble pourtant si réelle. L'union des corps, exaltante, ardente d'un désir profond. Mais qui finalement, deux ans pus tard, tout cela ne me fait sentir que trop sale. Rien est vrai, tout n'est que mensonge.  Et allongé au dessus de moi, lovée dans ses bras juvéniles. Emmitouflés dans nos draps, Ezeÿel parle. "Je t'aime." Il s'attend à un moi aussi, mais la honte me gagne. Je le repousse. Je me pince les lèvres, le délogeant de mon être, de mon intimité. "Je crois qu'on devrait arrêter..." Il est blessé. Revêt ses vêtements et part. Me laissant avec ma honte. Je l'aime moi aussi, mais pas de la même façon. J'ai peur de l'avoir perdu.

Tant pis ? Tant mieux ?

Mais je ne l'ai pas perdu, nous sommes plus proches que jamais, je le connais comme s'il faisait parti de moi, il me connait comme si je faisais partie de lui. Ensemble, mais pas trop, des coucheries par-ci par-là, ça fait du bien, ça ne change rien. Puis il y a tout le reste. Tout ce qui envenime nos vies, détruit nos pairs...

Et maintenant ? Et maintenant... Cette vidéo. Nous sommes découverts, et c'est le début de la fin. Le journal en main, mon coeur bat  tout rompre. Est-ce vrai ? Youtube, chargement, play. Les larmes me montent aux yeux. Vidéo virale qui nous met en scène, nous, créatures obscures. Nous serons persécutés, traqués. Probablement tués même. La peur allait revenir, elle se formait déjà.