Le gouffre entre la vie et la mort n’est pas vraiment un gouffre. Une frontière très proche tout au plus. Qu’est-ce qu’être mort ? Qu’est-ce qu’être vivant ? Je respire, et le foule le sol de cette terre. Et pourtant, d’après certaines personnes, je suis morte. Cela n’a aucun sens. Cela n’a aucune importance de toute façon. Je suis ici, il n’y a rien d’autre à savoir. Ce débat est stérile et ne peut rien apporter…. Mais c’est là la nature profonde des humains de décortiquer des choses qui n’ont pas de sens ni d’importance. A croire que leur vie n’est faite que de ça. Jadis, je pensais comme eux. Je maudissais des hypothétiques dieux pour leur brutalité. Je les laisser guider ma vie, comme si je n’étais qu’une marionnette entre leurs mains. Je leur attribuais mes malheurs fuyant mes propres responsabilités… L’homme est faible. L’homme est fourbe. Et l’homme a besoin de l’évolution pour le guider. Il a besoin de ces dieux, et nous le sommes. Il ne lui reste plus qu’à le voir et l’accepter… Autant dire que ce ne sera pas facile pour lui. Ouvrir les yeux sur la réalité n’a jamais été sa spécialité.

J’ai vu le jour en tant qu’humaine au cours d’un autre siècle, sous une autre identité. Insouciante, imprudente je me suis engouffrée dans des situations sans même me rendre compte que j’en étais la principale responsable. J’étais heureuse à cette époque, mais j’ai voulu défier le destin et je m’en suis mordue les doigts… Très fort. Pourquoi avais-je voulu me rendre à ce bal alors que j’avais tout pour être heureuse ? J’avais le bonheur d’être aimée, et même si mes parents n’avaient plus d’argent, celui qui devait devenir mon futur époux n’en avait que faire. Nous étions faits l’un pour l’autre à l’époque. Mais non, je n’en avais fait qu’à ma tête. Je n’avais pas écouté ses conseils et je m’étais rendue à cette soirée qui a changé ma vie d’humaine à une pauvre vie d’humaine-objet. Mes parents ne pouvaient pas refuser. L’héritier du Duc me prit pour épouse sans me laisser le choix, mais surtout et avant tout, sans exiger la moindre dote. Et il se débarrassa de son cousin, obstacle sur sa route qui ne l’aurait pas laissé me contraindre aussi docilement, qui n’aurait pas renoncé aussi facilement à moi.

J’ai été manipulée toute ma vie… Ou du moins toute mon ancienne vie. Quand il est revenu un soir, me proposant de me libérer du joug de mon monstre d’époux, j’ai pensé à une apparition, à un miracle, à un délire. Il m’avait été contée qu’il avait été tué bien des années avant et pourtant il était là, sous mes yeux, aussi jeune, aussi beau que dans mes souvenirs. Je l’ai laissé m’emmener, panser les plaies encore à vif infligées par son cousin cruel. Il ne pouvait rien faire pour les autres plus anciennes, mais son sang avait le pouvoir de faire disparaitre les plus récentes. Je m’étais perdue dans ses bras, dans son étreinte, dans cette froideur qu’il dégageait, mais qui me ramenait à des années plus douces de ma vie. Je n’avais connu avant cela qu’un seul monstre et il a profité de ma faiblesse pour faire de moi un être de la nuit. Je ne m’y étais pas attendue lorsqu’il a enfoncé ses crocs dans ma chair pour me boire, encore et encore. J’en ai aperçu le visage de mon aîné qui s’était donné la mort, ne supportant pas la déchéance de notre famille, de notre nom. Mon père jouait bien trop, et il avait ruiné notre héritage et n’était comte que de titre, rien de plus.

J’avais détesté la nouvelle vie qui s’offrait à moi. J’étais encore trop humaine pour me rendre compte du cadeau qui m’avait été fait. Ne supportant pas très longtemps de jouer les baby sitter, Il m’avait abandonné pour me donner à l’une de ses sœurs. Ce fut la meilleure chose qui me soit arrivé. Elle était dure, mais toujours juste. Elle a fait de moi la vampire que je suis désormais, même si elle a fini par se perdre et se tromper de chemin. Elle m’a éduqué, et m’a montré qu’il n’y avait qu’un seul maître dans ma vie : moi-même. Elle a fait de moi une guerrière. Elle Lui a damné le pion en me présentant comme son infant et ne lui laissant pas le temps de s’indiquer comme étant mon créateur. Il m’avait mordu oui, mais il n’était pas mon créateur. C’était elle qui l’était.

Il m’avait puni. Puni pour cela. Puni aussi parce que je lui avais ôté cette vengeance qu’il pensait être sienne, mais qui était mienne. J’étais celle qui devait tuer l’homme qui avait marqué profondément et à jamais ma chair. Je suis allée le tuer, et j’ai découvert qu’il était doté de pouvoirs surnaturels, de pouvoirs qu’il affirmait tenir du diable lui-même. Mais, rejeton de l’enfer ou non, il n’a pas résisté à mes coups de lames. Je lui ai rendu tous ses coups, tous jusqu’aux derniers. J’ai meurtri son corps avec ce qui était avant sa lame préférée et qui m’appartient désormais. J’ai déchiré sa chair, j’ai roué son ventre de coups. Et je l’ai laissé se vider de son sang dans ce lit et ces draps où il avait abusé de moi si souvent.

Punie surtout parce que j’étais devenue sa préférée à elle à son détriment. Elle l’a délaissé à mon profit et son égo ne l’a pas supporté. Alors il m’a envoyé à l’étranger, effectuer des missions fictives, pour me tenir loin d’Elle. Il ne se doutait pas que, sans mon influence, elle finirait par sombrer. Elle était vieille, si vieille. L’une des premières infants de notre maîtresse à tous Svering Myklebust. Elle sombra, et dévia jusqu’à ce qu’il me soit demandé de mettre fin à son calvaire, à sa déchéance. Je l’avais retrouvé bien des années plus tard, et j’avais dû aider à lui ôter la vie. Je m’étais servie de son enseignement contre elle et ma lame avait fini par s’enfoncer dans son cœur. Maya Myklebust n’était plus. Ou du moins physiquement sur cette terre, puisqu’elle ne me quittera jamais.

Estimant à juste titre que Lui et Moi formions une bonne équipe, notre Maitresse à tous nous unit, faisant de moi sa protectrice, son bras droit, alors que lui-même le devenait pour sa personne. Et c’est désormais toujours le cas. A mesure de son ascension vampirique, j’étais et je restais dans son ombre. Cette amour puis cette animosité qui nous liait se transforma en relation professionnelle, puis cordiale et maintenant amicale et fraternelle. J’ai fini par reconnaitre qu’il était celui qui m’avait mordu, et non plus Elle, le jour où il a compris que je n’étais pas et ne serais jamais un objet entre ses mains. Nous sommes alliés, amis, amants parfois, la personne la plus proche de l’autre. Ou du moins c’est ainsi que je vois les choses. Je lui fais confiance et j’espère qu’il ne reproduira pas les mêmes erreurs et qu’il ne me donnera pas tords. Nous avons combattu ensembles. Nous avons saigné au côté de l’une et de l’autre. Nous avons tué des loups, des humains et des créatures de la nuit. Nous avons installé les nôtres à Vallhöl et nous veillons sur eux. Et nous ferons face à cette vidéo dévoilant notre existence à tous aux humains. Nous sommes forts. Nous sommes Ses représentants, Ses enfants. Nous ne lui ferons pas défaut. Nous ne la décevrons pas. Je suis Maja Myklebust et je fais la promesse de tuer tout ennemi se mettant en travers de mon chemin, de celui de ma Maîtresse, ou du Sire que je dois servir.