Le jour du commencement.
Insignifiant pour certains, triomphant pour d'autres. « Leonora » fut le nom que choisit de me donner ma chère et tendre mère, en mémoire à ses origines françaises. Son pays lui manquait, mais elle ne l'avouerait jamais. Elle n’avait jamais été très prompte à dévoiler ses sentiments comme elle n'avait jamais voulu me donner la raison de notre présence à Stockholm, la « Venise du Nord ». Une terre qui aujourd'hui semblait si lointaine dans mes souvenirs. Où habitions-nous déjà ? Ah oui, dans une ancienne bâtisse au nord de la ville.


Le retour de la poudre blanche. Une sensation fraîche et délicate que je savourais le long de mes doigts. L’innocence d'une pureté tentatrice que je ne pus m'empêcher de goûter. Sa saveur hivernale m'arracha une grimace des plus immondes, mais je n'en restais pas moins satisfaite. J'embrassais l'inconnu comme n'importe quel enfant sans se douter une seule seconde du destin qui m'attendait. Un destin qui m'obligerait à prendre certaines décisions, parfois voulues, parfois subies. Un destin qui m'était beaucoup trop lointain pour la fleur fragile que j'étais et qui ne cessait de s'épanouir devant la plus délicate attention. Mes pas s'enfonçaient maladroitement dans la poudreuse. Je n'avais pas peur de tomber, non. Ma mère m'avait montré comment soigner de petites blessures par simple effleurement de peaux. J'étais plutôt douée pour mon âge, disait-elle. En réalité, cet exploit était tout bonnement normale lorsque les parents se trouvent être deux luminati ayant une faculté accrue pour le soin.

Une main chaleureuse se posa doucement sur mon épaule, arrêtant mon trajet incertain. Elle exerça une légère pression pour que je me retourne. Je ne résistais pas bien longtemps, car Ambre, ma génitrice, n'appréciait guère qu'on la déçoive. Elle s'agenouilla et je sus qu'elle allait me dire une chose importante. Une chose qu'il me serait interdite de répéter à quiconque. Une chose qui ne cesserait de me poursuivre tout au long de mon existence. Alors j'ouvrais grands mes oreilles et buvais chacune de ses paroles comme une assoiffée de savoir. Elle sembla subitement hésiter à continuer son récit. Je tentais de la rassurer en caressant sa joue rougie par le froid. Elle acquiesça et m'annonça finalement qu'un groupe d'individus viendrait un jour me retrouver, qu'il ne faudra pas que j'ai peur et que je devrais les suivre sans discuter. Elle disait que c'était pour mon bien et que je devrais sagement écouter et obéir à leurs moindres paroles. Je ne bronchais pas. Néanmoins, je pouvais sentir un poids lourd agiter mon cœur jusque-là immaculé.  


Le soleil égaillait le petit jardin et les oiseaux gazouillaient à en perdre la tête. J'étais sagement installée sur le banc lorsqu'une sonnerie retentit dans toute la maison. Des pas se firent pressant et rapidement des voix inconnues et connues s'élevèrent de l'entrée. Mon cœur se serra avec appréhension tandis que les personnes se rapprochaient de mon endroit. J'aurais aimé m'enfuir, mais je savais qu'on ne me le permettrait pas. C'est le regard rivé sur mes chaussures que je me levais fébrilement et rejoignais ma mère qui venait de m'appeler. Deux hommes l'entouraient ; je ne les avais jamais rencontrés auparavant. J'avais peur. Malgré tout, je prenais sur moi et réduisais la distance qui me séparait de mon futur. Des mots s’enchaînèrent, mais je ne les entendais déjà plus. J'avais promis à ma mère d'être sage alors je dodelinais constamment de la tête sans même connaître le sujet de la question.

On m'invita à avancer, ce que je fis tout en comptant mes pas. Un, deux, trois, quatre... Je me stoppais. Des larmes perlèrent le long de mes joues. Je voulais rester ici. Avais-je réellement le choix ? Non. Je me souvenais des paroles de ma mère : « Ce jour-là tu les suivras. Tu avanceras fièrement, la tête haute et à aucun moment, je dis bien : aucun moment, tu ne te retourneras ». J'avalais un horrible reniflement et puisais dans mes derniers retranchements pour affronter du regard mes deux kidnappeurs. Oui, c'est ainsi que je les voyais. Mon geste sembla les amuser. Je les ignorais et reprenais la route qui m'était destinée depuis ma plus tendre enfance – avant même que je ne pousse mon premier cri de bambin huit ans plus tôt.


Bientôt cinq ans que j'avais rejoint les troupes de l'Ordre dans la ville de Boston. Des années où je n'avais cessé de suivre un entraînement rude de survie et d'utilisation de mes capacités innées. Des années où on ne m'avait cessé de ressasser notre but pour lequel je m'étais vu prêter allégeance. Il m'arrivait parfois de me demander si les enfants sans dons vivaient une meilleure vie. Qu'est-ce que j'aurais fait si je n'avais pas été choisi ? Je serais probablement encore chez mes parents trinquant l’innocence des jours heureux et en toute ignorance de la réalité brutale de ce monde.

Mon apprentissage était continuel et chaque jour semblait plus dur et infini. L'utilisation de mes pouvoirs m'épuisaient. Si je ne m'entraînais ou n'étudiais pas, je passais mon reste du temps à dormir comme une droguée de Morphée. La magie du soin était incroyable, jamais ô grand jamais, je ne prétendrais le contraire. Mais... puisqu'il faut bien un « mais », j'étais complètement démunie en cas d'attaque. Lors de combat « fictif », parce qu'il fallait bien mettre en avant nos compétences, je me démerdais plutôt bien en technique de lutte. Toutefois, je me doutais bien que face à une créature de la nuit ou de la lune, elles ne me seraient pas d'une grande aide. A quoi ça sert de savoir frapper si votre adversaire à le double, le triple – ou que sais-je – de plus que vous ? C'est alors qu'un fameux 13 février 2001, je demandais à mon tuteur attitré de m'enseigner l'art ou devrais-je dire la maîtrise des armes à feu. S'il fallait survivre, autant le faire à fond.


Une date clé pour mon acceptation au sein de l'Ordre : le fameux test. Difficile, mais pas insurmontable. Au final, je devenais officiellement une illuminati. Ce qui signifiait : pose de la marque. Cette dernière ornait fièrement le haut de ma cuisse gauche ; un endroit plutôt idéal, car facile à camoufler. Je faisais partie de la famille – ma nouvelle famille.


Et voilà qu'une nouvelle étape dans ma vie s’enchaînait : mes débuts à Harvard, cette si prestigieuse école connue de tous. L'art et les sciences humaines sont les thématiques qui m'intéressaient et qui avaient donné raison de mon inscription. Vous n'imaginez même pas le cri de joie que j'ai poussé quand j'ai su que j'étais acceptée. Rien de tel pour vous donner un petit coup de booste.

Autrement, je continuais mes entraînements quotidiens au sein de l'Ordre et débutais les quelques missions qui m'étaient confiées. Elles n'étaient pour le moment rien d'exceptionnelles, mais je m'amusais follement. Changer aussi souvent d'identité n'était pas donné à tout le monde et mes cours de théâtre m'avaient permis de vite prendre la peau de différents personnages. Restait à savoir combien de temps allait durer cette mascarade avant le grand déluge.


La nuit des amants. Vous plaisantez ? Je n'avais pas de temps à perdre avec cette fête commerciale. Aujourd'hui, seule la mission comptait. Et quelle mission ! Les victimes de ce vampire Don Juan ne se comptaient même plus sur les dix doigts. L'Ordre nous avait choisi, moi et quelques congénères, pour mettre un terme à ce cirque. Je n'étais pas une attaquante, même si je pouvais faire pas mal de dégâts avec mon Firestar M43. C'était donc en soutien que j'avais rejoint l'affaire, mais aussi pour mes capacités à soigner. Avoir un « médecin » avec soi, c'est toujours mieux.

Toujours est-il que la mission s'est très bien déroulée jusqu'à ce que le vampire dégénère et s'en prenne à mon coéquipier. Prise dans la panique de la situation, je n'ai pas réfléchi laissant place à mon instinct de survie. Je levais l'arme, la braquais vers la créature et sans l'ombre d'une hésitation  lui pulvérisait le cœur. Je devais être sacrément secouée, car mon collègue dut me secouer pour que j'arrête de tirer sur une cible qui n'existait plus. C'était ma première réelle victime. Honnêtement, je n'en avais pas dormi de la nuit. Je savais que j'avais franchi LA limite et que cette dernière me poursuivrait tout au long de mon existence, mais je ne le regrettais pas. Si c'était à refaire, je le referais, car il m'était tout bonnement impossible de laisser mourir un membre de ma famille et j'étais prête à la défendre au péril de ma vie.