C'était un mensonge, ou du moins une vérité arrangée pour ne pas accabler davantage une jeune femme qui – clairement – avait besoin de sérénité. Avec le recul, il lui semble souvent que sa vie a commencé quand elle est arrivée à Valhöll... Emma Nilsen n'était pas grand chose, pas grand monde, pas vraiment. Une tentative de quelque chose qui n'était pas concluant. Elle était née dans les grandes rues de la Belle Oslo, d'une mère aimante qui avait eu la mauvaise idée de céder à un homme instable. Lui n'était plus là quand la petite est née mais Elena Nilsen s'était jurée d'aimer leur enfant pour deux... S'il n'était pas aussi commun qu'aujourd'hui de croiser des mères célibataires, l'état norvégien fut bon avec les deux Nilsen. Elles eurent la chance de vivre dans un quartier agréable, résidentiel avec une école non loin de l'appartement dans lequel elles habitaient. Elena était une sage-femme et travaillait à l'Hôpital Central de la Capitale, Emma était une petite fille très sage elle aussi et passait son temps à dessiner lorsqu'elle attendait sa maman chez la voisine, affectueusement surnommée « Tata ». Il y avait Maman, il y avait Tata, il y avait Emma, et le reste du monde, qui était plutôt bienveillant et dont aucune ne se plaignait. Aucun père à l'horizon, toujours inconnu au bataillon, mais il ne manquait pas à la petite fille qui grandissait bien vite. Pour qu'elle apprît à se défendre toute seule, Elena décida de ne pas mettre Emma dans une école de danse – comme toutes les petites filles de son âge – mais dans un club de boxe. Parce qu'une femme devait être forte, indépendante et aussi débrouillarde que possible... Aussi parce que la jeune demoiselle était aussi rêveuse qu'hyperactive et qu'il convenait de l'aider à se dépenser et trouver la paix. Il n'y a pas d'intérêt à s'éterniser sur le sujet, nous étions heureuses. Mais les blagues les meilleures sont les plus courtes... Comme la vie d'Elena, brutalement abrégée dans un accident de voiture auquel personne ne s'attendait.

Dans ce genre de moments, tout va toujours très vite. On n'y réfléchit pas, on ne prévoit rien, on se laisse porter – avec sa peine – et on quitte sa maison, son école, sa Tata et même son ours en peluche. On arrive dans un orphelinat, sans broncher, et on boxe son oreiller quand la nuit tombe pour oublier qu'on est épuisée d'avoir trop pleuré. Emma était une petite fille au caractère bien trempé et l'orphelinat n'était pas un endroit où il était difficile de vivre. Elle se sentait seule, bien sûr, et son ancienne vie lui manquait, mais tout le monde était très gentil avec elle... Ceci n'est pas l'histoire de la pauvre petite orpheline mise en esclavage par des personnes mal-intentionnées. Une surprise vint la trouver, pourtant, la petite Emma... Elle avait 8 ans. Et demi. Un homme se présenta un jour de printemps, à la porte de l'Orphelinat, pour réclamer à voir la petite demoiselle. Il était un ami de la famille ou un membre de celle-ci, ce n'était pas très clair, pour autant on autorisât l'homme, un certain Edgar Sköell, à voir la brunette, parce que les liens étaient importants pour le développement de l'enfant et que Tata avait un droit de visite permanent. Ils se rencontrèrent un certain nombre de fois, dans le parc municipal à côté de l'orphelinat, avant qu'Edgar ne trouvât le courage de dire aux deux grands yeux bleus qu'il était son père. Ce fut pour lui un moment solennel et profond, parce qu'il était revenu une première fois pour connaître le sexe de l'enfant et avait disparu dans la nature sans se rendre compte que ce petit être qu'il ne connaissait pas allait lui manquer toute sa vie. Pour elle, néanmoins, cela manqua un peu d'intérêt : elle ne savait pas ce qu'était un père ni ce qu'elle était sensée en faire aussi ce moment ne la marqua pas particulièrement. Emma comprit cependant qu'Edgar serait toujours dans les parages et accepta les choses telles qu'elles étaient... Sans qu'il expliquât pourquoi, l'homme refusa de diffuser la nouvelle auprès des autorités et ne ramena jamais la jeune fille chez lui. De ce qu'elle en savait, son père n'habitait pas Oslo mais une ville à l'ouest du pays. Valhöll, je l'apprendrai des années plus tard...


Tous les enfants ont des occupations, des choses à eux qui leur permettent de construire leur univers et leur personnalité. Emma boxait. Emma dessinait. Elle sculptait, aussi... Le jour de ses dix ans, son paternel lui offrit son premier appareil photo... Emma était une artiste. Petite, elle aidait les autres à dessiner dans l'orphelinat, plus grande elle se mit à organiser des cours pour les plus jeunes. Ce n'était pas une élève particulièrement brillante, elle avait un niveau correct et s'appliquait autant qu'il le fallait pour passer en classe supérieure avec aisance... Mais les arts appliqués étaient pour elle une forme d'expression pure qu'elle explorait tant et si bien que les méandres de l'adolescence ne parvinrent pas à l'atteindre. C'était un jour de chaleur écrasante, quand le cri hystérique de l'adolescente résonna à travers les couloirs. Elle avait réussi : elle avait obtenu une bourse d'études, elle allait quitter le lycée, elle partait en école d'art. Le Gouvernement norvégien avait toujours été très généreux avec ses pupilles. L'école était gigantesque, en plein cœur d'Oslo, et l'enfant qui avait grandi dans ses rues eut l'impression de devenir quelqu'un en intégrant l'académie nationale des arts. Dans ces murs et entre ces colonnades se côtoyaient des esprits qui seraient le renouveau de la scène artistique norvégienne. Emma croisa Petter Hegre lors d'un stage d'été, ce qui donna lieux à des échanges passionnées sur les différentes façons d'envisager la lumière et le cadrage d'une œuvre en devenir. Il y avait toujours ces instants à capturer, ces minutes à vivre, ces éclats d'extraordinaire à rassembler... Elle avait seulement 16 ans et elle était heureuse. Mais rappelons-nous l'italique entre deux paragraphes, celui qui n'annonce pas de bonnes nouvelles. Les mois, les semestres puis les années furent ceux de la libération et de la découverte. À l'école, la jeune femme n'était pas une orpheline, c'était une artiste – plutôt douée – avec une vision du monde sauvage et très particulière, ce qui lui permettait de se détacher du lot et d'attirer l'attention de certains de ses professeurs... Apprendre, toujours plus, devint une espèce de drogue pour cette demoiselle qui – précisément – essaya les drogues, découvrit l'alcool, les plaisirs de la chair, la beauté des voyages et tout ce qui pouvait stimuler ou toucher à l'art dans une vie. Elle découvrit les hommes, essaya les femmes, eut des petits amis. Le premier s'appelait James, c'était un anglais qui se trouvait en Erasmus à la faculté d'économie d'Oslo. Le second Christian, un norvégien un peu fou qui avait pour ambition d'ouvrir un élevage de husky à la frontière de la Laponie. Il y en eut d'autres, il y eut beaucoup de fêtes... Et il y avait la photo. La photographie tout le temps, allant jusqu'à photographier ses tableaux, ses sculptures, pour en faire une œuvre annexe de la première. Son père lui écrivait, une fois par mois, et elle lui répondait par quelques mots et des clichés, de sa vie, d'Oslo, du monde et du reste... La place d'Edgar dans son existence était étrange mais l'inspirait par bien des aspects. Puis vint son dix-huitième anniversaire. C'est là que toute le conte de fée se transforme en cauchemar. Comme chaque année, Edgar Sköell fit le trajet jusqu'à la Capitale pour venir trouver sa fille et l'inviter au restaurant. Le repas fut agréable, elle s'osa à l'interroger sur sa vie, ce qu'il faisait, qui il était... Les questions étaient régulières, habituelles, et l'homme ne répondait que par des énigmes. Le brouillard de mystères qui entourait son père fascinait et agaçait la demoiselle. Ce soir-là, Emma dépassa les bornes. Alors qu'ils se promenaient le long du fjord, la jeune impétueuse formula des questions plus directes, sur la raison pour laquelle il l'avait abandonnée, elle, pas sa mère. Sur ce qu'il était, là-bas, pourquoi elle ne savait rien. Pourquoi ne répondait-il pas, quel était son métier, où vivait-il... Et ces questions énervèrent son géniteur. Et ces questions semblèrent déclencher en lui des choses qui dépassaient la jeune femme presque autant que l'intéressé. Cette nuit-là, pour la deuxième ou la troisième fois dans sa longue existence, l'homme qu'était Edgar Sköell, acculé par les questions d'une demoiselle qui représentait le nombril de son monde et assailli de regrets douloureux, perdit le contrôle sur le Loup. Un hurlement fendit la nuit noire et sereine, ricocha sur les vagues et heurta les rochers... Personne ne se présenta pour aider la jeune femme. Sous ses yeux horrifiés, son père venait de se transformer en un loup imposant. Peut-être Edgar essaya-t-il de rester calme et d'apaiser sa progéniture mais l'angoisse de la demoiselle et son jugement évident d'horreur achevèrent les instincts humains du lycan qui prit la chair de sa chair en chasse. Une chasse qui ne dura pas longtemps, au demeurant, et s'acheva dans une ruelle qu'Emma avait emprunté en espérant rejoindre un bar qu'elle connaissait et qu'elle n'atteindrait jamais. Le Loup se jeta sur la demoiselle et la mordit au flanc, lui arrachant un râle de douleur semblable à celui qui précédait une mort violente. Elle perdit connaissance presque immédiatement. Tombée de rideaux.


« Emma ? Emma... Nous sommes là pour t'aider... »

Elle se rappellerait toujours de ce moment, parce qu'il changea sa vie. Après la morsure, Emma avait été retrouvée par des passants le lendemain matin puis admise à l'hôpital central où sa mère travaillait par le passé. Aucun médecin n'avait compris ce qu'il arrivait à la jeune femme qui ne cessait d'être prise de fièvres, de convulsion et de crise de démence. Les chirurgies reconstructrices échouèrent toutes, les unes après les autres, comme si la plaie dévorait les fils chirurgicaux... Au bout de quelques jours, pourtant, son cœur s'arrêta violemment avant de repartir de plus belle. Ce qui se passa dans la morgue, cette nuit-là, échappa totalement à sa conscience... Elle ne fut pas seule, pourtant, on l'aida. Jamais personne ne sut qui accompagna Emma dans sa première transformation mais ses paupières s'ouvrirent le lendemain, quelque peu brisées par la douleur qui avait marqué son esprit sans y laisser de souvenirs. Elle était guérie. Elle avait survécu. Elle ne savait pas vraiment pourquoi... Et quelque chose avait changé. On la regarda comme une bête de foire... Elle devint une bête trois jours plus tard, dans son dortoir, et disparut. Ainsi mourut Emma Nilsen. On dirait d'elle qu'elle avait attrapé une virus étrange, qu'elle avait sombré dans la folie... On dirait d'elle que c'était une artiste brillante... On parlerait d'elle un moment au passé avant d'apprendre qu'elle n'était pas morte. En attendant, complètement perdue, esclave de pulsions qu'elle ne se connaissait pas et que la boxe ne parvenait pas à effacer, la jeune femme quitta Olso comme mue par un instinct des plus particuliers pour aller vivre en forêt. Pourquoi ? C'était là une très bonne question. Les premiers mois de sa nouvelle vie, Emma ne fut consciente ni d'elle ni de sa bête, errant entre deux états sans jamais parvenir à prendre du recul sur la situation. Elle était à tour de rôle une bête avide de chasse et de liberté et une humaine frigorifiée et désorientée. La Louve rôda dans les bois au nord d'Oslo pendant quatre mois qui lui semblèrent être une éternité. Puis Ils la trouvèrent.

« Nous sommes des amis de ton père, Emma... Viens... »

C'était un genre de lumière au bout d'un tunnel. Elle suivit deux hommes et une femme, qui se présentèrent brièvement avant de l'emporter avec eux. La première chose qu'elle retint dans les propos qu'ils lui adressèrent, ce fut que son père était mort. Qu'il n'avait pas souffert. Après cette nuit d'Octobre, Edgar était rentré parmi les siens, fou de tristesse... Il demanda à l'Ulfric de retrouver la jeune femme et d'abréger ses souffrances, de punir ce crime contre nature dont il avait été l'auteur... L'Ulfric refusa de punir le Loup qui semblait souffrir bien assez. Edgar Sköell mit fin à ses jours en apprenant qu'Emma était considérée comme morte. Il n'avait pas souffert, c'était ce qu'on lui avait dit... Elle pleura pendant trois jours sans parvenir à dormir. Puis elle apprit. Devenir Louve s'annonça être plus simple que je ne l'aurais pensé, à croire que j'avais ça dans le sang.

Loup. Lycan. Garou. Tous les mots étaient bons pour définir cette énergie sauvage qui coulait désormais dans les veines... Sans se faire prier, la jeune Emma s'installa au domaine et prit le nom de Sköell en hommage à son père, qu'elle honora avec pudeur. L'exécutrice de la meute, Frida, prit la jeune Emma sous son aile. Ou sa patte. Tout dépend du premier degré que l'on veut insérer dans cette histoire. La soif de violence de la Louve attirèrent l'attention de plus d'un de ces congénères qui s'amusaient de la voir se défouler aussi souvent contre des sacs de frappe qu'elle détruisait tour à tour avant d'aller se perdre en forêt avec son appareil photo. C'était une femelle au pelage brun et aux yeux bleus, avec des crocs d'une blancheur impeccable. C'était une créature sauvage qui se fit bien vite à sa nouvelle vie, comme si sa Bête avait réussi à effacer ses envies de civilisation et son amour des caramel macchiato. Au bout d'un an, sous le regard maternel et fier de Frida, Emma passa l'épreuve et rejoignit officiellement les siens. L'Ulfric, qui jusqu'alors l'avait ignorée, la reçut dans ses quartiers de longues heures durant, pour lui parler de son père, de son histoire, de leur nature. Elle devint l'une de ses préférées, parce qu'elle avait en elle une modernité qui manquait au monde lupin. Trouver sa place s'avéra plus facile qu'on aurait pu le croire, Emma se faisant l'ombre de Frida, apprenant à maîtriser sa Louve et les armes blanches, puis les armes à feu. Elle accompagnait l'exécutrice dans la plupart de ses tâches et prit à cœur de l'aider à encadrer ses jeunes sœurs en organisant des ateliers artistiques. L'art – disait-elle – était une forme d'expression qui permettait d'exprimer ses pulsions aussi sûrement qu'une course en forêt ou une soif de violence. L'art, au final, reprit une place importante dans sa vie et acheva de la convaincre de reprendre contact avec son école. Emma Nilsen n'était pas tout à fait morte, finalement. Revenir d'entre les morts, ça crée la légende et ça fait vendre. Elle termina son cursus par correspondance et put s'octroyer le titre d'artiste, une première chez les Loups qui n'étaient pas vraiment connus pour leur créativité. Qui ne sont pas connus du tout, et c'est très bien comme ça. Le caractère expansif et volontaire d'Emma la lia d'amitié avec la meute, ses pulsions se satisfaisant de course, de boxe, de chasse, d'alcool et de sexe. Elle avait le profil idéal pour s'épanouir parmi les siens, ce qu'elle fit. Certains loups attirèrent son attention plus que d'autre, l'ancien exécuteur – Jakob – la marqua suffisamment pour devenir son amant pour un temps. Un temps très court, car il finit par s'éloigner étrangement d'elle, sous le regard accusateur de Frida. Puis il défia l'Ulfric, sans que personne ne comprit pourquoi... Et mourut. Elle porta le deuil, comme les autres, puis oublia.

Emma Sköell devint une photographe reconnue sur la scène artistique norvégienne, comme une évidence. Elle négocia avec l'Ulfric une pièce supplémentaire au Domaine pour avoir son atelier, organisa davantage les cours d'art au sein de la meute, pour les plus jeunes, et alla même jusqu'à proposer un tutorat général pour les petits mâles. Toujours à la droite de Frida et non loin de leur chef, la Louve se tailla une place de taille dans la communauté Sköell. Des légendes qu'on lui raconta, elle fit des photographies, des illustrations, et apprit ainsi l'histoire de son clan, puis leur loi, qu'elle connaissait par cœur et respectait avec un flegme remarquable. Les règles sont faites pour être interprétées, à condition de ne jamais les dévoyer.

Le quotidien était serein, sauvage et libre... Tout ce à quoi un loup pouvait aspirer. Mais la violence – et la mort – n'était jamais loin de la vie d'une meute. Longtemps, ils se rappelleraient le hurlement qui avait déchiré la gorge d'Emma, un jour de 1999. Longtemps, ils se rappelleraient la violence qui avait été la sienne à ce moment-là. C'était une belle matinée de juin, la rosée était fraîche et le soleil encore timide... C'était une belle matinée sanglante... Les jeunes s'entraînaient en compagnie de leurs aînées, exécuteur et exécutrice, quelques autres comme Emma qui assistaient le couple. Ils étaient deux, ou trois, plus jeunes et plus fougueux que les autres. Ils étaient deux, ou trois, qui se mirent à se battre et perdirent le contrôle. Frida intervint, pour séparer les jeunes chiots, probablement avec un peu trop de patience et de douceur, sans doute avec trop de confiance... L'un d'entre eux, aveuglé par la rage, sauta à la gorge de la Louve et lui arracha la carotide sans plus de cérémonie. Ce fut un de ces moments où les secondes s'étirent en éternité et que le temps s'allonge sans qu'on parvienne à le rattraper. La violence fut sans appel. Tous intervinrent mais le hurlement d'Emma resta gravé dans leurs esprits. La Louve, sous sa forme humaine, se jeta à la rencontre des corps, interdisant au Loup de dévorer sa seconde Mère, le menaçant d'une larme d'argent qu'elle n'hésiterait pas à lui enfoncer dans le poitrail. Elle était grande mais pas bien épaisse, elle étai frêle face à la Bête, mais elle défia le loup d'un regard qui ne laissa pas l'ombre d'un doute sur sa capacité à le tuer sans l'ombre d'une hésitation. Probablement conscient de son horreur, très certainement atteint par la conviction de celle qui lui tenait tête, le lycan se mit en position de soumission face à une femme... Et la femme s'effondra en larmes sur le corps de Frida, caressant sa fourrure en lui murmurant des mots tendres. Elle redevint Orpheline.

« Il n'y a que toi pour lui succéder. »

Ces mots la transformèrent... Et elle devint Exécutrice à son tour, et elle découvrit ce qu'était le quotidien avec l'Autre. L'autre exécuteur, l'autre partie de la meute... L'Autre prit des quartiers non loin des siens et ils entretenaient une relation étrange, à la fois possessive et rivale, enrichissante et destructrice. L'Autre. Il y en aurait d'Autres mais il semblait écrit dans leurs instincts que leurs rapports ne seraient jamais qu'intenses. Le quotidien retrouva sa place pour tenter de boucher le trou béant que la mort de Frida avait creusé dans le cœur de la Louve. Elle améliora davantage ses techniques de combat, sa maîtrise des armes blanches et plus encore celle des armes à feu. C'était son rôle, de protéger la meute. Emma devint par ailleurs professeur d'art à l'université et enfila parfaitement le costume de l'exécutrice qu'elle devait devenir. Elle servit un Ulfric, puis un autre, et encore un autre. Si la meute Sköell était stable, il était de tradition que les exécuteurs fussent maintenus ou révoqués par l'Ulfric en place... Les dominants changèrent, les exécuteurs non. Et Emma Nilsen disparut totalement de son esprit. Devenir une autre, finir par s'en rendre compte... Et aimer ça.


What goes around, comes around. Ils s'étaient enfermés dans l'atelier de la photographe, à double tour. Lui brassait du vent et faisait les cent pas. Il pestait. Comment cela avait-il était possible ? Un loup, un simple loup, défiant l'Ulfric du jour au lendemain et obtenant la victoire... Il connaissait Sebastian mais n'aurait jamais soupçonné qu'il aspirait à dominer la meute. Et qu'allaient-ils devenir désormais ? Et qui était donc cette femme qu'il fréquentait ? Et que devaient-ils faire, eux ? Tout ceci était n'importe quoi. Tout ceci n'avait aucun sens.

« C'est en partie de ta faute, pourtant. »

Elle jouait avec un poignard et porta sur Lui un regard grave, ses prunelles voilées de fatigue et de lassitude. L'Ulfric était mort et Emma retrouvait le calme propre aux âmes endeuillées. Doucement, l'exécutrice dévisagea son Autre et lui sourit avec sécheresse. Il aurait dû surveiller ses Loups, savoir que quelque chose n'allait pas... Quant à ce qu'ils allaient devenir, ce serait au nouvel Ulfric de le déterminer, sauf s'il désirait le défier. Comme ses prédécesseurs, Sebastian déciderait s'il voulait garder ses exécuteurs ou en nommer de nouveaux... Comme ses prédécesseurs, Sebastian aurait leur soutien et verrait ses lois respectées, de gré ou de force.

« Pour ce qui est du reste... Nous verrons ce que l'avenir nous offrira... Ne sois pas trop pessimiste, après tout, Karl n'était pas un enfant de chœur. »

Et ils s'occuperaient de son cadavre, comme de celui des autres. Une tâche plus difficile attendait désormais Emma... Car, dès lors que l'Ulfric confirmerait son statut, elle devrait aller se charger de l'ancienne Lupa.


2017 n'est pas une bonne année. Après tout le bordel qui a été induit par la chute de Karl Sköell et l'arrivée au pouvoir de Sebastian, c'est désormais l'existence même de notre espèce qui s'annonce compliquée... Le nouvel Ulfric a mon respect. Et mon soutien. Il a décidé de nous maintenir et a su trouver en nous la force qui lui manquait pour asseoir son pouvoir... Mais désormais des heures sombres nous attendent. Je n'ai plus de télévision, pas que ça me manque particulièrement mais la place vide laissée dans ma chambre me rappelle chaque jour la diffusion de cette vidéo qui représente une menace de chaque minute. Jamais encadrer les jeunes n'a été plus délicat, plus important... Jamais les Loups n'ont été en aussi mauvaise posture. Certains murmures nous rappellent la condition qui a été la nôtre par le passé, quand nous étions les instruments du gouvernement, et nous craignons d'être appelés à retrouver cette place pour combattre les vampires. Les semi-démons. Les autres. Le doute plane sur notre meute et chaque jour semble receler une nouvelle part de défi... Nous aurons tout le loisir de découvrir ce qui nous attend, alors que 2018 approche et avec elle des questions qui restent sans réponse. Je m'appelle Emma Sköell, j'ai enterré ma mère, mon père et Frida. J'ai enterré Emma Nilsen et bien d'autres. J'ai 42 ans, un métier, une passion, un but dans l'existence... J'ai une meute. J'ai la vie devant moi... Et la mort, aussi, qui n'a jamais été plus pernicieuse ni plus présente. Car lorsque l'homme craint une bête, il l'abat.