Comme tout le monde, vous n'avez pas pu vous empêcher de regarder la vidéo... Ou du moins de lire dans la presse ou encore de voir à la TV des journalistes en parler. Qu'en pensez-vous? Quelle a été votre réaction?
C'est moi même qui l'ai mise en ligne sous les ordres de notre Hiérophante. Il n'est guère prudent de critiquer les ordres, même après les avoir effectués. Et je ne devrais pas le faire. Pourtant... J'avoue être un peu sceptique, au fond de moi. Je n'ai strictement aucune idée de ce que cela va donner à long terme, mais c'était sûrement le meilleur moyen pour pouvoir rétablir l'équilibre des forces. Les humains le feront pour nous, si nous arrivons à les manipuler correctement. Si nous y arrivons. C'est loin d'être gagné ; je sais que tout va se jouer dans les semaines et les mois à venir et cela va être dur. Je n'aime pas ne pas savoir. Je déteste douter. Mais je sais que mes visions sont relativement sombres, bien qu'assez imprécises à long terme. Je sais simplement que des jours obscures arrivent. Pour nous, pour les créatures surnaturelles, pour les humains. Ce qu'on m'a ordonné de faire ne fait qu'aider la marche de l'histoire, finalement. Les humains auraient bien fini par découvrir l'existance de créatures surnaturelles. Oui, ce sont des imbéciles, ils sont si aveugles, depuis des siècles... Mais tout de même. Des loups garous et des vampires, juste sous leur nez... J'ai toujours du mal à croire qu'ils aient réussi à se faire ignorer toutes ces années, ces siècles. Ca aurait bien finit par cesser un jour. Au moins, nous l'avons fait nous même. Nous maîtrisons la situation. Au moins un peu. Nous avons en tout cas un temps d'avance. A nous d'agir vite et de modeler l'opinion avant les vampires n'aillent susurrer des mots doux aux oreilles des humains. Oui, cette vidéo n'est que le début. La détente qui a libéré la balle, la balle qui va maintenant bouleverser la vision du monde de ces pauvres aveugles d'humains...
Moi, je ferais ce qui doit être fait. Peu importe ce dont il s'agit.
Pour l'Equilibre.
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Le 24 Octobre 2006, Paris, France.
« Par ici. »Sans un mot, sans un regard, je suis la direction qu'on m'indique. Ma respiration est courte, traduisant l'anxiété qui m'habite. Je suis sûre de moi, pourtant, je ne l'ai même jamais autant été. Mais j'ai peur. Peur d'échouer. Peur de les décevoir. Pourquoi serait-ce le cas ? Je n'ai plus fais aucun faux pas depuis bien longtemps, maintenant. J'ai évolué. J'ai compris. Ils le savent. Sinon, pourquoi serais-je encore vivante ? Ils savent que leur travail avec moi s'achève aujourd'hui et qu'ils vont enfin pouvoir rentabiliser ces années à me montrer le droit chemin. Et moi, je suis prête. Prête à faire ce que j'ai à faire, à faire ce qui doit être prêt. Je sais ce qui m'attend. Je sais très bien ce qu'ils ont prévu pour me tester. Mais jamais je n'avais imaginé avoir cette boule d'angoisse au fond de l'estomac en y allant. Ce n'est pas ce que je vais devoir faire qui me pose problème en soi – sinon je serais morte – c'est leur présence autour de moi et leur regard sur mes épaules. Lourd. Ils ne me quittent pas. Ils me jaugent. Et même si je sais qu'il n'y a aucune chance pour que j'agisse mal, j'ai peur tout de même. L'obscurité et l'humidité du souterrain n'améliorent rien. Nous tournons à droite, et mes yeux se posent instantanément sur l'homme. Il a vieilli. Beaucoup vieilli. Plus que ce à quoi je m'attendais. Pourtant, et bien malgré moi, je le reconnais sans mal.
Je sais peu de choses, finalement. Je sais que ma mère avait failli dans sa mission peu après ma naissance, elle avait mal interprété une de ses visions et avait tué la mauvaise personne... Jonathan Carsten ne m'avait jamais expliqué les raisons de sa mort, il m'avait juste parlé de comment elle était morte. C'était tout ce qui importait, pour lui. Il avait oublié sa trahison. Il avait oublié que ma mère avait trahi l'ordre, et qu'elle devait payer. Il n'avait retenu que le soir où il était rentré dans l'appartement et où il avait trouvé le cadavre de ma mère. Il savait ce qu'elle avait fait, cela allait de soi qu'elle en paye le prix. On ne s'attendait d'ailleurs pas à la réaction qu'il a eu. Il a pris le bébé, le petit nourrisson de quelques mois qui commençait à avoir quelques pousses rousses sur le crâne, il a pris quelques affaires et il a fui. Aussi vite et aussi loin qu'il a pu. C'était mon géniteur. Mon père, comme je l'appelais à l'époque. L'homme qui m'avait mis au monde. Sa femme morte en ayant failli dans sa mission pour l'Equilibre, il fuit en m'emportant sous son bras, comme un vulgaire paquet, m'emportant pour des années de cavale loin des miens, loin de ma véritable famille, loin de la cause qui doit être servie par ceux qui, comme nous, en ont les capacité. A tous points de vue, il a volé les douzes premières années de ma vie. Je ne le voyais pas ainsi, à cette époque. A la petite fille de l'époque ; car non, elle n'est plus moi. Elle le voyait comme son sauveur, et il lui présentait l'Ordre et notre peuple comme une dictature sanguinaire qui tuait pour un oui ou pour un non. Il voulait lui offrir une belle vie, une meilleure vie, une vie libre, disait il à la petite fille. Ils ne passaient pas plus d'un mois au même endroit, des fois même pas plus de quelques jours. Il fallait toujours bouger. Ca lui plaisait, à la petite fillle. Elle a fait le tour du monde, elle a tout fait. Et surtout, elle n'avait aucune limite. Elle se savait supérieur à tous ces stupides humains qui ne se doutaient même pas de tout ce qui vivait à leur côté, dans leur monde, depuis la nuit des temps. Elle en a mêe tué quelques uns, oui, avec l'aide de son père, sans trop de poser de question. On ne lui a jamais enseigné le respect, excepté pour son père. Lui... Elle le vénérait presque. Il développa très tôt ses pouvoirs, n'ayant aucun scrupule à puiser dans des énergies sombres et chaotiques pour donner un coup de pouce. Il lui disait qu'elle était puissante. Elle le croyait. Elle l'a cru pendant toutes ces années. Je l'ai cru. Je n'aime pas penser à ce passé à la première personne, tellement il me semble honteux, pourtant je sais bien que c'est le mien. Et qu'il faut que je l'accepte. Accepter qu'il soit mien, mais tout faire pour me racheter.
J'ai ouvert les yeux, depuis. Ils ont fini par l'attraper, la petite imbécile qui croyait tout ce qu'un viel égoïste damné lui disait. C'est certainement le souvenir le plus frais et le plus cuisant qu'il me reste de cette époque. J'avais déjà des visions, pas forcément très importantes, mais qui, pour celle ci, m'a permis de trouver le droit chemin. De retrouver les miens. Ils nous cherchaient presque en permanence, mais nous avions toujours réussi à les éviter. De justesse, le plus souvent. Ca suffisait pour continuer cette vie décadente en cavale. Pas cette fois. J'avais douze ans. Depuis plusieurs nuits, je voyais un même endroit dans mes visions, un entrepôt non loin du terrain vague qui bordait la ville dans laquelle nous nous cachions. Curieuse et peu prudente, je m'y suis bêtement rendue. Ils sont arrivés peu après. Je n'avais pas de quoi me défendre, pas de quoi lutter. Ils m'ont emmené et changé radicalement mon existence du jour au lendemain.
Ce fut douloureux. Physiquement et mentalement. On m'a isolé des autres jeunes, et je n'ai vu personne d'autre que les tuteurs chez qui je vivaient. J'en changeais régulièrement, surtout au début. On ne voulait pas que je m'attache à qui que ce soit, à quoi que ce soit. J'ai tenu le coup. J'ai ouvert les yeux. J'ai même cru plonger dans la folie, en pleine adolescence, coupée de tout, mise à l'épreuve à chaque jour, chaque heure, chaque minute. Je les détestais, au début. J'ai essayé de fuir. J'ai vite arrêté. Ca ne servait strictement à rien, ils étaient bien trop puissants. Alors, j'ai fini par ouvrir les yeux. Ils m'ont ouvert les yeux. Ils m'ont montré l'Equilibre. Ils m'ont montré pourquoi ma mère était réellement morte, pourquoi elle devait mourir. Et surtout, que c'était Jonathan le monstre, à forniquer avec des forces démoniaques déstabilisant l'Equilibre. Pas eux. Pas nous. Cela m'a pris plusieurs années pour comprendre cela, de nombreuses années de souffrance et de privation. Cela en valait le coup, j'en suis persuadée aujourd'hui. J'ai toujours aimé me surpasser, alors je l'ai fait, j'ai tout fait pour les satisfaire. On m'avait bien fait comprendre que si je n'étais pas à la hauteur, si on éprouvait trop de difficultés à mon éducation, ma vie ne vallait pas la peine d'être sauvegardée. S'ils en doutent encore, je vais le leur prouver. J'ai dix huit ans. J'ai commencé mon apprentissage plus tard que mes semblables, je le finis plus tard. Mais je le finis tout de même. J'arrive au bout du chemin, j'arrive au moment où je vais enfin pouvoir accomplir tout ce pour quoi j'ai été formée. Il ne me reste plus qu'une dernière étape à franchir...
Ils l'ont capturé il y a quelques mois. Apparemment, il aurait continué à cavaler pendant toutes ces années sans moi. Non, pas sans moi. Sans elle. Sans sa fille. Sa fille qui n'est plus moi, sa fille qui n'a jamais été moi. Je ne suis pas cette personne, je ne l'ai jamais été. Elle est morte. Elle a fermé ses yeux définitivement quand j'ai ouvert les miens sur l'Equilibre. Et quand mon regard se pose sur celui de l'homme qui m'a mise au monde, il n'y a que froideur et haine. Je vois la peur, dans le sien. J'esquisse un sourire. Il ne me reconnaît pas, non, parce que je ne suis pas celle qu'il a connu. On m'ouvre la grille de l'espèce de cellule dans laquelle il est enfermé et je m'avance. Pas lent, régulier. Tout mon corps est tendu. Je ne scille pas. Je ne respire presque plus. On ne m'a rien donné pour le tuer, on attend que je le fasse donc avec mes propres capacités. Ils savent pourtant que ce n'est pas mon plus grand talent... Je sais pourtant que j'en suis capable. Rien qu'avec ma haine. Rien qu'avec tout ce dégoût qu'il m'inspire... Je me sens surpuissante. Je m'approche, approche ma main de son bras dénudé. Un frisson me parcours quand nos peaux se touchent, mais je reste concentré. Je ferme les yeux. Ce n'est pas instantané, je ne suis pas assez douée pour que ce le soit. Mais la douleur l'atteint. Il hurle. Je continue. Je ne lâche pas. Cela dure moins qu'une minute, mais qui me semble éternelle. Ma main crispée sur son bras, je continue à le faire hurler. Jusqu'à ce qu'il n'ait plus de voix pour le faire. Je sens son corps de raidir, ses forces le lâcher. Son bras s'échappe de ma main et il s'écroule sur le sol. Je souffle, me recule. C'est fait.
J'ai tué l'homme qui se prétendait au dessus de l'Equilibre. J'ai tué mon père.
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Le 9 Mars 2011, Bergen, Norvège.
Mes talons claquent sur le pavé, mais leur bruit se noie dans celui de la foule grouillante, des klaxons et des moteurs d'une circulation intense, totalement habituelle pour une fin de journée. La Norvège... C'est bien, oui. Mais j'aurais préféré un pays du sud, j'ai toujours préféré les pays du sud. Oui, je sais, on s'en fiche éperdument. Je ne suis pas là pour faire du tourisme, j'en ai déjà fait assez le restant de ma vie. Je suis utile, maintenant. Ma vie a un sens. Ma vie sers à quelque chose. J'ai des repères. J'ai cessé d'être ballottée d'une croyance à une autre, conditionnée et reconditionnée. Je sais qui je suis. Je sais où je vais. Ca fait un bien fou. J'ai enfin des relations sociales, avec les miens. J'ai enfin un groupe de personne que je peux appeler « les miens ». Elevée toute ma vie à l'écart des autres, je suis finalement lâchée au milieu de la civilisation, d'un monde bouillonnant et impatient, dans lequel il n'y a pas une minute de son temps à perdre. J'y étais prête. Tout s'est bien passé. Je sens pourtant encore quelques regards méfiants de la part des autres illuminatis ; ils savent d'où je vienne et ce que j'ai pu être. Ce que je n'ai jamais été selon moi – cette fille est morte. Je n'ai plus qu'à leur prouver, sur le tas maintenant. C'est ce que je fais depuis plusieurs mois, déjà. On m'a d'abord envoyé en Europe centrale. La mission n'a pas duré très longtemps, mais tout s'est bien passé. J'ai retrouvé la liberté, mais maintenant, je sais quoi faire de cette liberté. Oh, je m'amuse bien... J'ai toujours été une joueuse, même petite. Maintenant, disons que j'utilise simplement toutes les armes à ma disposition pour atteindre mes objectifs. Bars. Rues peu fréquentables. Je suis un caméléon ; je m'adapte vite à toute situation. Je me fonds dans mon environnement. Je ne suis plus rien, je suis une coquille vide qui se remplit comme elle doit se remplir selon la situation. Je me sens bien, oui. Ca me va. Je suis remise à zéro. Une nouvelle personne, dans une peau fraîche. On m'a accordé de changer quelques informations essentielles, comme mon nom de famille. Je ne pouvais plus supporter de porter celui de l'homme qui m'avait volé mon enfance et qui avait trahi l'Equilibre. Ni celui de ma mère, n'avait elle pas trahi elle aussi pour mourir ? J'en ai pris un autre, un peu au pif. Qui sonnait bien et qui avait la même origine que celui que je portais jusque là. Je suis quelqu'un d'autre et plus personne à la fois. Je peux être tout le monde, c'est ce qu'on m'a appris à être. Et j'aime ça, j'adore ça.
Je monte dans le bus et me trouve une place assise rapidement. Ma main effleure le haut de mon bras, juste en dessous de mon épaule. Sous la masse de vêtements, je sais que s'y trouve le signe de l'Ordre. Je me rappelle encore très bien de la cérémonie. De tout ce qui s'est passé. Le plus beau moment de ma vie, jusqu'ici... Je ne suis pas seule. Je n'erre pas sans objectif, j'appartiens à quelque chose. Et je joue à l'humaine lambda. C'est tellement drôle. Je ris doucement quand je les regarde, ces pauvres humains tout autour de moi, dans ce petit bus de ville. Ils ne savent pas. Ils sont aveugles, ils sont aveugles depuis si longtemps... Loups garous, vampires, créatures des enfers, ils sont parmi eux depuis la nuit des temps, mais eux restent définitivement aveugles. La grosse masse d'imbéciles, pas les autorités. Curieuse, j'ai moi même toujours préféré m'intéresser aux surnaturels qu'aux humains. Tellement plus intéressant. Oh, ils ne sont que des pions eux aussi, des pions que nous déplaçons plus ou moins habilement, pour que l'échiquier reste en Equilibre. C'est tout ce qu'ils représentent. Ils sont simplement plus intéressants à manipuler que les vulgaires humains. Mais que voulez-vous... On est bien obligé de vivre parmi les humains, ils sont si nombreux et si importants pour l'Equilibre, eux aussi. Et n'en n'ont pas conscience. Je vais, moi même, tous les jours en cours avec eux. A la fac. Journalisme et communication. Mes visions me permettent d'avoir un aperçu plutôt complet du futur et des sujets importants à traiter demain. Il m'arrive encore de me tromper, mais je me débrouille plutôt bien. Plus que mes autres pouvoirs. Pour ce qui est de la douleur, je me débrouille, mais j'ai totalement laissé tombé mes compétences de soin. Je ne sais même pas si j'en possède réellement, au final... Ca m'importe peu. D'autres les auront pour moi. Il faut se concentrer sur l'essentiel : la mission que j'ai à mener. En parallèle de mes études. Pas une mission très importante, je suis consciente d'être encore à l'essai et qu'on ne me donnera un rôle important qu'une fois que j'aurai fait mes preuves. C'est ce que je fais. Tous les jours, à chaque heure, à chaque minute. Je ne vis que pour cela. Je m'oublie moi même, j'oublie tout le reste, car le reste n'a pas d'importance. Plus rien n'a d'importance d'autre que les ordres que je dois suivre. Jusqu'à la mort. Jusqu'à la fin. Peu importe. C'est ce que je ferais.
Pour l'Equilibre.
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Le 4 décembre 2017
L'appartement est plutôt spacieux, surtout par rapport à ce que j'ai eu jusque là. On s'y habitue vite. Je m'habitue vite à toute nouvelle situation, de toute façon. Cela fait plusieurs fois que j'ai emménagé à Valholl désormais, presque un an. On m'a plus ou moins fait faire le tour de la Norvège, de Kristiansand à Narvik, d'Oslo à Trondheim. J'ai toujours été douée dans les langues scandinaves, bien que ce ne soit pas exactement mes langues maternelles. Donc on m'a placé là. C'est dans ce pays que j'ai fait mes études, que j'ai obtenu mon diplôme, il y a quelques années déjà. Les débuts dans le métier n'ont pas été facile, ce n'est pas spécialement le secteur qui donne le plus d'emploi. Mais avec les moyens dont dispose l'Ordre, j'ai tout de même eu beaucoup plus de facilités que ces pauvres humains. J'aime mon travail. Je passe mon temps à faire des recherches, à fouiller dans tous les coins, à me rendre sur le terrain pour écrire un article ou en prétextant en écrire un quand j'en ai besoin. Et puis, réussir à anticiper avec assez de précision l'actualité sur le court terme donne un sacré coup de pouce. J'ai toujours un temps d'avance, c'est toujours moi qui dispose de la bonne info, au bon moment. Et pour l'Ordre, j'ai tout donné. J'ai encore tant à donner. Même tuer ne me pose aucun problème. Pourquoi cela devrait il ? Après tout, on ne m'a jamais donné de limites. Quand j'étais petite, j'étais totalement libre de faire ce que je voulais. Aujourd'hui, je suis libre de faire tout ce qui est nécessaire pour assurer l'Equilibre. Quelle différence finalement, dans la manière de me comporter ? Aucune, si ce n'est que mon existence a désormais un but bien supérieur, bien plus important, bien plus grand que tout. Et j'y suis totalement dévouée. Détachée de tout, de tout le reste. Je ris, je plaisante, je bois, je couche... J'ai l'air vivante. Mais l'intérieur est mort. Plus d'humanité, plus rien. Plus que cette volonté d'acier d'accomplir ce pourquoi je suis faite. Ce pourquoi je suis née. Ce à quoi l'Univers doit tendre. Je le fais parce que je n'ai rien d'autre à faire, parce qu'il n'y a rien d'autre à faire. C'est ainsi. Ca me va. On ne m'a jamais demandé mon avis, et il n'importe pas.
Pieds croisés sur la table, cigarette entre les doigts, je me remémore ainsi ces dernières années en attendant que l'ordinateur s'allume. J'ai beaucoup de travail ce soir, j'aimerai ne pas trop traîner. Boucler d'abord ce qui n'a pas d'importance – les articles pour le Fenrir déchainé et un autre quotidien plus local. Etre pigiste a l'énorme avantage de ne pas être attaché à une seule enseigne journalistique, il m'arrive d'ailleurs aussi de travailler pour d'autres médias, occasionnellement. Je m'ennuie, sinon. Ensuite, l'Ordre. J'aimerai me concentrer uniquement sur cela, mais il faut bien gagner sa vie. Et s'intégrer parmi le monde humain. Ce n'est pas très difficile et je les méprise toujours autant, logique quand on a toujours un temps d'avance en quelque chose sur eux. D'ailleurs, ils ne vont pas tarder à avoir une petite surprise. Je surveille généralement les semis démons. Parce que même si je ne suis plus la petite fille rebelle, elle a été moi. Et elle a beaucoup puisé de ses forces dans celles du Chaos. Avec le temps, j'ai remarqué que mes visions étaient le plus souvent centrés sur eux. Et mes rêves sur mon père. Je revois sa mort. Je me revois le tuer. Ca me fait mal, alors que ça ne devrait pas. Comme si quelque chose en moi continuait à me considérer comme sa fille. Alors que je l'aime pas, alors que je le hais, alors que j'ai enterré le jour où je l'ai tué bien au fond de ma mémoire. Il ressort, un peu, avec le temps. Il ne faut pas.
La petite surprise pour les humains, donc. Je travaille quelques heures pour un article sur la dernière mesure fiscale du gouvernement, qui va faire grand bruit dans les jours à venir et j'y viens. Ce que je vais faire va provoquer bien plus de remue-ménage que toutes les décisions que pourra prendre ce foutu gouvernement. On m'a demandé de m'en occuper moi même en raison de ma connaissance assez bonne en réseaux sociaux, suite à mes études en communication. Je branche le téléphone à l'ordinateur, importe la vidéo. Compte youtube neuf, un des autres membre du groupe s'occupe d'empêcher quiconque de pouvoir remonter jusqu'à l'adresse IP de cet ordinateur. Quelques minutes plus tard, un sourire transparaît à nouveau sur mon visage alors que j'appuie sur la touche « entrée ». Mon dos va se caler dans le fond du canapé. Bras croisés derrière la tête, l'autosatisfaction illuminant mon visage, je me dis que les jours suivant vont définitivement être à suivre. Et que sans que personne ne puisse jamais remonter jusqu'à moi, j'ai marqué l'une des étapes les plus importantes de l'histoire de l'humanité. J'exagère peut être un peu. Mais à peine. Seul l'avenir me dira à quel point. J'attrape le téléphone, envoie un simple SMS à notre cher hiérophante. « C'est fait. ».
Et je me remets à fixer l'ordi, alors que les humains commencent à prendre conscience qu'ils ne sont pas seuls sur la surface de cette terre. Ils ne l'ont jamais été.